La rémunération du gérant de SARL : cadre juridique, modalités pratiques et risques

Le mandat social exercé par le gérant d’une société à responsabilité limitée (SARL) peut donner lieu à une rémunération, dont les conditions de fixation et de versement doivent obéir à un certain formalisme juridique. Bien que la loi reste silencieuse sur la procédure précise, la jurisprudence et la pratique permettent d’encadrer ce dispositif. Ce guide fait le point sur les modalités de fixation, les obligations légales, ainsi que le risque civils et pénaux liés à la rémunération du gérant.

Une rémunération libre mais encadrée

En l’absence de disposition légale spécifique, la fixation de la rémunération du gérant relève du pouvoir souverain des associés. Elle peut être décidée en amont ou a posteriori, tant qu’elle fait l’objet d’une décision formalisée par les associés (Cass. Com., 9 janv. 2019, n°17-18.864).

Modalités pratiques de fixation

  • Dans les statuts : Il est possible d’inscrire la rémunération dans les statuts, mais cela est fortement déconseillé pour des raisons de flexibilité. Toute modification exigerait une assemblée générale extraordinaire et une modification statutaire coûteuse et contraignante.

  • Par décision des associés : La pratique consiste à mentionner dans les statuts que le gérant peut être rémunéré, tout en renvoyant la fixation du montant à une assemblée générale ordinaire (AGO). Cette décision peut intervenir :

    • Avant le versement (pré-approbation) ;

    • Après le versement (ratification postérieure).

Base légale : articles L.223-18 et suivants du Code de commerce.

Modalités de fixation de la rémunération

  1. Fixation en amont

La rémunération du gérant peut être déterminée :

  • Dans les statuts : solution peu recommandée car toute modification ultérieure implique une assemblée générale extraordinaire et une modification statutaire.

  • Par décision collective des associés : mode de fixation souple et largement privilégié, généralement par voie de résolution en assemblée générale ordinaire.

🔹 Dans la majorité des cas, les statuts se limitent à indiquer que le gérant peut percevoir une rémunération, dont les conditions seront fixées ultérieurement par décision collective.

B. Fixation postérieure (ratification)

Dans les sociétés jeunes ou en croissance, le montant de la rémunération peut dépendre du niveau d’activité ou de la trésorerie. Il est alors fréquent que le gérant perçoive une rémunération en cours d’exercice, laquelle est ratifiée en fin d’année par l’assemblée générale ordinaire.

Jurisprudence constante : Cass. com., 9 janvier 2019, n°17-18.864 – la fixation a posteriori est licite, dès lors qu’elle est approuvée par les associés.

Fréquence et portée des décisions relatives à la rémunération

Par principe, la rémunération n’est arrêtée que pour l’exercice au cours duquel elle a été décidée.

Toutefois, si le montant ne varie pas, les associés peuvent voter une résolution indiquant que la rémunération demeure inchangée jusqu’à décision contraire, évitant ainsi une répétition annuelle.

Bonnes pratiques : faire mention dans le procès-verbal de l’AGO que la rémunération reste stable, sauf décision expresse de modification.

Le gérant peut-il participer au vote sur sa rémunération ?

Oui, selon une jurisprudence constante (Cass. Com., 4 mai 2010, n°09-13.205), la fixation de la rémunération ne constitue pas une convention réglementée au sens de l’article L.223-19 du Code de commerce. En conséquence, un gérant-associé peut valablement participer au vote qui concerne sa propre rémunération.

Toutefois, cette participation ne le protège pas des contentieux potentiels en cas d’abus (voir infra).

Cas particulier du gérant associé unique (EURL)

Même en présence d’un associé unique, une décision formelle d’approbation est requise. La jurisprudence rappelle qu’il n’existe aucune dérogation à cette exigence, même dans les SARL unipersonnelles ou familiales (Cass. Com., 25 sept. 2012, n°11-22.754). En l’absence de cette formalité, la rémunération pourrait être contestée, notamment en cas de cession des parts.

Prise en charge des cotisations sociales

Le gérant majoritaire d’une SARL est affilié au régime social des travailleurs non salariés (TNS). Ses cotisations sociales relèvent de sa responsabilité personnelle. Toutefois, les associés peuvent décider que la société les prendra en charge. Cette prise en charge constitue un avantage en nature et un complément de rémunération, soumis aux mêmes règles d’approbation que la rémunération principale.

Les risques juridiques en cas de dérive : abus de majorité et abus de biens sociaux

  1. Abus de majorité

Si un gérant associé majoritaire s’attribue une rémunération manifestement excessive, les associés minoritaires peuvent intenter une action en abus de majorité.

Deux critères cumulatifs doivent être prouvés (Cass. Com., 30 nov. 2004, n°01-16.584) :

  • La décision est contraire à l’intérêt social ;

  • Elle a été adoptée dans l’unique intérêt de l’associé majoritaire, au détriment des minoritaires.

Sanction : nullité de la décision, et remboursement des sommes à la société.

  1. Abus de biens sociaux (ABS)

L’octroi d’une rémunération excessive, disproportionnée par rapport aux capacités de l’entreprise, peut également constituer un délit pénal (article L.241-3 du Code de commerce).

Conditions :

  • L’intention frauduleuse du gérant (mauvaise foi) ;

  • Utilisation contraire à l’intérêt social à des fins personnelles.


Sanctions
:

  • Peine d’emprisonnement de 5 ans ;

  • Amende de 375 000 € ;

  • Inéligibilité éventuelle à des fonctions de direction.


Régularisation impossible :
même si le gérant rembourse ultérieurement, cela ne supprime pas le caractère délictueux de l’acte (Cass. Crim., 22 sept. 2004, n°03-82.266).


Bonnes pratiques et recommandations

  • Formaliser systématiquement les décisions relatives à la rémunération du gérant, même en présence d’un associé unique.

  • S’assurer que la rémunération est proportionnée à la situation financière de la société.

  • Ne pas mélanger rémunération et avantages personnels non déclarés.

  • Garder une traçabilité rigoureuse : procès-verbaux, approbation, mentions comptables, etc.

Textes et jurisprudences de référence

  • Code de commerce : articles L.223-18 à L.223-26, L.241-3

  • Cass. Com., 4 mai 2010, n°09-13.205 ; Cass. Com., 25 sept. 2012, n°11-22.754

  • Cass. Crim., 22 sept. 2004, n°03-82.266

  • Cass. Com., 30 nov. 2004, n°01-16.584

  • Cass. Com., 9 janv. 2019, n°17-18.864

A propos de l'auteur

Expert en fiscalité et droit des affaires, possède neuf années d’expérience au sein de cabinets de conseil de renom. Spécialiste des fusions-acquisitions et de la structuration de transactions, il accompagne les entreprises dans l’optimisation stratégique et la sécurisation juridique de leurs opérations.

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